-
Par Naniland89 le 7 Janvier 2022 à 00:30
C’était lors de mon premier arbre,
J’avais beau le sentir en moi
Il me surprit par tant de branches,
Il était arbre mille fois.
Moi qui suis tout ce que je forme
Je ne me savais pas feuillu,
Voilà que je donnais de l’ombre
Et j’avais des oiseaux dessus.
Je cachais ma sève divine
Dans ce fût qui montant au ciel
Mais j’étais pris par la racine
Comme à un piège naturel.
C’était lors de mon premier arbre,
L’homme s’assit sous le feuillage
Si tendre d’être si nouveau.
Etait-ce un chêne ou bien un orme
C’est loin et je ne sais pas trop
Mais je sais bien qu’il plut à l’homme
Qui s’endormit les yeux en joie
Pour y rêver d’un petit bois.
Alors au sortir de son somme
D’un coup je fis une forêt
De grands arbres nés centenaires
Et trois cents cerfs la parcouraient
Avec leurs biches déjà mères.
Ils croyaient depuis très longtemps
L’habiter et la reconnaître
Les six-cors et leurs bramements
Non loin de faons encore à naître.
Ils avaient, à peine jaillis,
Plus qu’il ne fallait d’espérance
Ils étaient lourds de souvenirs
Qui dans les miens prenaient naissance.
D’un coup je fis chênes, sapins,
Beaucoup d’écureuils pour les cimes,
L’enfant qui cherche son chemin
Et le bûcheron qui l’indique,
Je cachai de mon mieux le ciel
Pour ses distances malaisées
Mais je le redonnai pour tel
Dans les oiseaux et la rosée
Poème de Jules Supervielle (la fable du monde 1938)
J'ai tant aimé le lire cet auteur, je vous en fais profiter.. ♥
12 commentaires -
Par Naniland89 le 4 Décembre 2021 à 00:00
Un poème que j'aime beaucoup... Réfléchissez bien !!!
Un jardinier, dans son jardin,
Avait un vieux arbre stérile ;
C'était un grand poirier qui jadis fut fertile :
Mais il avait vieilli, tel est notre destin.
Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin ;
Le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l'arbre lui dit :
Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
Que je t'ai donné chaque année.
La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant,
N'assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,
Répond le jardinier ; mais j'ai besoin de bois.
Alors, gazouillant à la fois,
De rossignols une centaine
S'écrie : épargne-le, nous n'avons plus que lui :
Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,
Nous la réjouissons par notre doux ramage ;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse et rit de leur requête ;
Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim
Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,
Ecoute-nous, homme inhumain :
Si tu nous laisses cet asile,
Chaque jour nous te donnerons
Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons :
Cela te touche-t-il ? J'en pleure de tendresse,
Répond l'avare jardinier :
Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
Qui m'a nourri dans sa jeunesse ?
Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux ;
C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.
Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,
Et laisse vivre le vieux tronc.
Comptez sur la reconnaissance
Quand l'intérêt vous en répond.
Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)
fables 1792
13 commentaires -
Par Naniland89 le 8 Novembre 2021 à 05:32
Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
Les rosiers sont morts, et les diadèmes.
Des derniers soleils
Tombent, en pliant leurs tiges séchées,
Dans l’herbe où les fleurs sont déjà couchées
Pour les longs sommeils ;
Les géraniums, les phlox, les colchiques,
Les lourds dahlias, et les véroniques.
Et les verges d’or.
Gisent dans l’humus sous les feuilles mortes,
En proie au hideux peuple des cloportes,
Ouvriers de mort.
Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
Mais l’année a mis ses grâces suprêmes
Dans ces pâles fleurs ;
Leur seule rosée est la fine pluie,
Parfois un rayon presque froid essuie
Leur visage en pleurs ;
Leur blancheur de cire a des teintes mauves.
Les rideaux fanés des vieilles alcôves
Ont leur incarnat,
Leur plus tendre rose est teint d’améthyste,
Et même leur or le plus clair est triste,
Et n’a point d’éclat.
Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
Quel chagrin pensif, en leurs roseurs blêmes,
De leurs froids destins !
Quel délicat rêve en leur blancheur chaste !
Quels nobles et fiers ennuis dans le faste
De leurs ors éteints !
Elles ont grandi sans pouvoir connaître
L’ivresse d’amour qui flotte et pénètre
Leurs sœurs de l’été,
Quand vibre partout le vol des insectes,
Douloureuses fleurs, calmes et correctes
Dans l’air déserté.
Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !
Allons en cueillir, puisque tu les aimes
À l’égal des lis,
Des amaryllis de larmes trempées,
Et des sombres cœurs entourés d’épées
De tes chers iris.
Auguste Angellier (le chemin des saisons 1903)
18 commentaires