• C’était lors de mon premier arbre,

    J’avais beau le sentir en moi

    Il me surprit par tant de branches,

    Il était arbre mille fois.

    Moi qui suis tout ce que je forme

    Je ne me savais pas feuillu,

    Voilà que je donnais de l’ombre

    Et j’avais des oiseaux dessus.

    Je cachais ma sève divine

    Dans ce fût qui montant au ciel

    Mais j’étais pris par la racine

    Comme à un piège naturel.

    C’était lors de mon premier arbre,

    L’homme s’assit sous le feuillage

    Si tendre d’être si nouveau.

    Etait-ce un chêne ou bien un orme

    C’est loin et je ne sais pas trop

    Mais je sais bien qu’il plut à l’homme

    Qui s’endormit les yeux en joie

    Pour y rêver d’un petit bois.

    Alors au sortir de son somme

    D’un coup je fis une forêt

    De grands arbres nés centenaires

    Et trois cents cerfs la parcouraient

    Avec leurs biches déjà mères.

    Le Premier Arbre

    Ils croyaient depuis très longtemps

    L’habiter et la reconnaître

    Les six-cors et leurs bramements

    Non loin de faons encore à naître.

    Ils avaient, à peine jaillis,

    Plus qu’il ne fallait d’espérance

    Ils étaient lourds de souvenirs

    Qui dans les miens prenaient naissance.

    D’un coup je fis chênes, sapins,

    Beaucoup d’écureuils pour les cimes,

    L’enfant qui cherche son chemin

    Et le bûcheron qui l’indique,

    Je cachai de mon mieux le ciel

    Pour ses distances malaisées

    Mais je le redonnai pour tel

    Dans les oiseaux et la rosée

    Poème de Jules Supervielle (la fable du monde 1938)

    J'ai tant aimé le lire cet auteur, je vous en fais profiter.. ♥

    Le Premier Arbre et Fleurs du Vendredi...


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  • Un poème que j'aime beaucoup... Réfléchissez bien !!!

     

    Un jardinier, dans son jardin,

    Avait un vieux arbre stérile ;

    C'était un grand poirier qui jadis fut fertile :

    Mais il avait vieilli, tel est notre destin.

    Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin ;

    Le voilà qui prend sa cognée.

    Au premier coup l'arbre lui dit :

    Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit

    Que je t'ai donné chaque année.

    La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant,

    N'assassine pas un mourant

    Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,

    Répond le jardinier ; mais j'ai besoin de bois.

    Alors, gazouillant à la fois,

    De rossignols une centaine

    S'écrie : épargne-le, nous n'avons plus que lui :

    Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,

    Nous la réjouissons par notre doux ramage ;

    Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.

    Le jardinier les chasse et rit de leur requête ;

    Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim

    Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,

    Ecoute-nous, homme inhumain :

    Si tu nous laisses cet asile,

    Chaque jour nous te donnerons

    Un miel délicieux dont tu peux à la ville

    Porter et vendre les rayons :

    Cela te touche-t-il ? J'en pleure de tendresse,

    Répond l'avare jardinier :

    Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier

    Qui m'a nourri dans sa jeunesse ?

    Le Vieux Arbre et le Jardinier

    Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux ;

    C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.

    Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,

    Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.

    Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense,

    Et laisse vivre le vieux tronc.

    Comptez sur la reconnaissance

    Quand l'intérêt vous en répond.

    Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

    fables 1792


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  • Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !

    Les rosiers sont morts, et les diadèmes.

       Des derniers soleils

    Tombent, en pliant leurs tiges séchées,

    Dans l’herbe où les fleurs sont déjà couchées

    Pour les longs sommeils ;

    Les Chrysanthèmes

    Les géraniums, les phlox, les colchiques,

    Les lourds dahlias, et les véroniques.

     Et les verges d’or.

    Gisent dans l’humus sous les feuilles mortes,

    En proie au hideux peuple des cloportes,

    Ouvriers de mort.

    Les Chrysanthèmes

    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !

    Mais l’année a mis ses grâces suprêmes

    Dans ces pâles fleurs ;

    Leur seule rosée est la fine pluie,

    Parfois un rayon presque froid essuie

     Leur visage en pleurs ;

    Les Chrysanthèmes

    Leur blancheur de cire a des teintes mauves.

    Les rideaux fanés des vieilles alcôves

    Ont leur incarnat,

    Leur plus tendre rose est teint d’améthyste,

    Et même leur or le plus clair est triste,

     Et n’a point d’éclat.

    Les Chrysanthèmes

    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !

    Quel chagrin pensif, en leurs roseurs blêmes,

     De leurs froids destins !

    Quel délicat rêve en leur blancheur chaste !

    Quels nobles et fiers ennuis dans le faste

    De leurs ors éteints !

    Les Chrysanthèmes

    Elles ont grandi sans pouvoir connaître

    L’ivresse d’amour qui flotte et pénètre

    Leurs sœurs de l’été,

    Quand vibre partout le vol des insectes,

    Douloureuses fleurs, calmes et correctes

    Dans l’air déserté.

    Les Chrysanthèmes

    Le jardin n’a plus que des chrysanthèmes !

    Allons en cueillir, puisque tu les aimes

    À l’égal des lis,

    Des amaryllis de larmes trempées,

    Et des sombres cœurs entourés d’épées

    De tes chers iris.

    Les Chrysanthèmes

    Auguste Angellier (le chemin des saisons 1903)


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