• Ô rare fleur, ô fleur de luxe et de décor, 

    Sur ta tige toujours dressée et triomphante, 

    Le Velasquez eût mis à la main d'une infante 

    Ton calice lamé d'argent, de pourpre et d'or

    Mais, détestant l'amour que ta splendeur enfante, 

    Maîtresse esclave, ainsi que la veuve d'Hector, 

    Sous la loupe d'un vieux, inutile trésor, 

    Tu t'alanguis dans une atmosphère étouffante.

    Tu penses à tes sœurs des grands parcs, et tu peux 

    Regretter le gazon des boulingrins pompeux, 

    La fraîcheur du jet d'eau, l'ombrage du platane ;

    Car tu n'as pour amant qu'un bourgeois de Harlem, 

    Et dans la serre chaude, ainsi qu'en un harem, 

    S'exhalent sans parfum tes ennuis de sultane.

     

    FRANCOIS COPPEE

    Poésies 1869


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  • Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux 

    Ce jardin clair où nous passons silencieux, 

    C'est plus encor en nous que se féconde

    Le plus candide et doux jardin du monde. 

    i Quoique nous le voyions fleurir

    Car nous vivons toutes les fleurs,

    Toutes les herbes, toutes les palmes

    En nos rires et en nos pleurs

    De bonheur pur et calme.

    i Quoique nous le voyions fleurir

     Car nous vivons toute la joie 

    Dardée en cris de fête et de printemps, 

    En nos aveux où se côtoient 

    Les mots fervents et exaltants. 

    i Quoique nous le voyions fleurir

    Oh! dis, c'est bien en nous que se féconde 

    Le plus joyeux et doux jardin du monde.

    Emile Verhaeren

    (Les heures claires)


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  • On admire les fleurs de serre

    Qui loin de leur soleil natal,

    Comme des joyaux mis sous verre,

    Brillent sous un ciel de cristal.

    Pâquerette

    Sans que les brises les effleurent

    De leurs baisers mystérieux,

    Elles naissent, vivent et meurent

    Devant le regard curieux.

    Pâquerette

    A l'abri de murs diaphanes,

    De leur sein ouvrant le trésor,

    Comme de belles courtisanes,

    Elles se vendent à prix d'or.

    Pâquerette

    La porcelaine de la Chine

    Les reçoit par groupes coquets,

    Ou quelque main gantée et fine

    Au bal les balance en bouquets.

    Pâquerette

    Mais souvent parmi l'herbe verte,

    Fuyant les yeux, fuyant les doigts,

    De silence et d'ombre couverte,

    Une fleur vit au fond des bois.

    Pâquerette

    Un papillon blanc qui voltige,

    Un coup d'oeil au hasard jeté,

    Vous fait surprendre sur sa tige

    La fleur dans sa simplicité.

    Pâquerette

    Belle de sa parure agreste

    S'épanouissant au ciel bleu,

    Et versant son parfum modeste

    Pour la solitude et pour Dieu.

    Pâquerette

    Sans toucher à son pur calice

    Qu'agite un frisson de pudeur,

    Vous respirez avec délice

    Son âme dans sa fraîche odeur.

    Pâquerette

    Et tulipes au port superbe,

    Camélias si chers payés,

    Pour la petite fleur sous l'herbe

    En un instant, sont oubliés !

    Pâquerette

    Théophile Gauthier

    Emaux et camélias 1852


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